
J’étais à la première Trans Pride d’Italie
English version below
This article first appeared on Coco Spina’s newsletter on 9th May 2025 – Subscribe now!
Le 4 mai 2025, j’ai participé à la toute première Trans Pride de Milan, la première jamais organisée en Italie. Menée de manière indépendante par des personnes et des associations venues de différentes régions d’Italie, cet événement marquait une première dans le pays — peut-être l’équivalent italien de ce que l’on appelle en France la Pride radicale. Le cortège s’est élancé depuis la Piazza Duca d’Aosta, juste devant l’imposante gare centrale, et a traversé la ville dans une ambiance à la fois joyeuse et déterminée. J’y étais avec la team de Coriandoli, un magazine queer et transféministe fondé en 2022, qui explore les identités queer à travers l’art, la mode et la littérature — un peu comme une version italienne de Censored. Alors que je me sens fatigué de ma vie de journaliste militant, ce moment m’a redonné de la force. Il m’a fait penser que, peut-être, et en évitant les idéalisations, dans les endroits où les fascistes ont déjà gagné, le sens de la communauté et de l’entraide est plus affûté. Que la subversion y dépasse largement la posture et l’esthétique.

Je suis en Italie depuis bientôt un mois.
J’ai pris une pause loin de Marseille, de mon travail de journaliste, et des communautés militantes dans lesquelles je suis impliqué, pour enfin écouter un burn out professionnel et militant qui couvait depuis des mois. Je suis à peine sorti de l’appartement, sauf pour un week-end à Milan, où vit l’une de mes sœurs. Par un heureux hasard, c’est cette semaine-là que j’ai rencontré en ligne certain·es membres de Coriandoli, une publication d’une rare qualité, alliant exigence graphique, textes philosophiques denses, et regard radical sur la mode et l’art. J’ai ressenti une chaleur immédiate à leur contact. Nous avons décidé de nous voir à Milan.
J’y ai fait la connaissance, entre autres, du·de la fondateur·ice Alessandro Merlo, du rédacteur Nettuno Battisti, et de l’art director Giovanni Rocky Pastore. Un matin, alors que nous prenions un petit-déjeuner dans un bar sicilien, iels m’ont proposé de les accompagner à la toute première Trans Pride italienne, qui — hasard ou synchronicité — avait lieu cet après-midi même, le 4 mai. Une date historique. Comme me le dira Alessandro, rien n’arrive vraiment par hasard, pas même notre rencontre.

Alors, malgré mes difficultés physiques à me rendre en manifestation, je me suis joint à elleux, accompagné de ma sœur. La journée était grise, venteuse. Nous nous sommes retrouvé·es dans la Piazza Duca d’Aosta, face à la gare Centrale — vestige d’architecture fasciste. Les drapeaux bleu, rose et blanc flottaient dans le ciel grisâtre. Je me suis assis par terre : le moment était cathartique. L’énergie dans la foule était incroyable, défiant les regards suspicieux des patrouilles de police et des militaires qui, de temps à autre, nous pointaient du doigt.
« Aujourd’hui, on prend la rue pour briser la monotonie bourgeoise de cette ville ! », a scandé quelqu’un·e au mégaphone. Le cortège s’est dirigé vers Loreto, cette place où, après sa mort, fut pendu, à une station d’essence qui n’existe plus, le cadavre de Mussolini. Ce lieu me glace encore aujourd’hui. Mais ce dimanche, la place est remplie de nos drapeaux.
Derrière la banderole « Contre toute répression trans, c’est la révolution », quelques milliers de personnes ont défilé. Plus de 120 collectifs, groupes informels et individu·es ont répondu à l’appel, parmi lesquels SO Futura, B.Rain, B Plus et les Brigate Rosa.

« Le 4 mai est une date importante pour nous, car c’est le jour où, en 1982, a été adoptée la loi 164 — aujourd’hui encore la seule loi encadrant nos parcours d’affirmation de genre. Cette loi appartient à son époque : quarante-trois ans ont passé. Il est temps d’inventer d’autres alternatives, d’écouter enfin notre communauté sur ces questions. Il faut surtout arrêter de créer des espaces de discussion sans nous, où l’on parle de nous sans nous, et où les parcours proposés ne sont pas ceux que nous désirons », a déclaré Alec, l’un·e des organisateur·ices, au journal Il Sole 24 Ore.
Je n’osais pas croire qu’un jour je participerais à une telle manifestation dans l’Italie de Giorgia Meloni, entouré de mes adelphes. Ce moment m’a bouleversé. Il m’a donné envie de rejoindre celleux qui s’organisent chez moi, de tisser davantage de liens, de penser de façon décentrée de la France.

Le tissu dense et inspirant de personnes, d’artistes, de militant·es qui gravitent autour de Coriandoli a évidemment résonné avec mon expérience au sein de Manifesto XXI. Cela m’a rappelé à quel point les médias — et non les influenceur·ses isolé·es — ont un potentiel tentaculaire de cohésion, de circulation des idées, d’amitiés politiques. Et comment, le collectif peut permettre de mener de petites révolutions quotidiennes tout en nous faisant sentir moins seul·es.
Alors qu’Alessandro prend un portrait de moi avec, en fond, l’austère gare Centrale, un merci spontané sort de mes lèvres. Derrière sa caméra, il me dit « Tu as toute ta place ici, en Italie. Ne l’oublie jamais et ne te décourage pas. » <3
Je vous invite vivement à découvrir Coriandoli.

On May 4, 2025, I took part in Milan’s very first Trans Pride.
Organized independently by trans people and associations from different regions of Italy, this event marked a national first — perhaps the Italian equivalent of what we call “Radical Pride” in France. The march began in Piazza Duca d’Aosta, right in front of the imposing central train station, and moved through the city in an atmosphere that was both joyful and determined. I was there with the team from Coriandoli, a queer and transfeminist magazine founded in 2022, which explores queer identities through art, fashion and literature — a bit like an Italian version of Censored. At a moment when I was feeling tired of my life as a militant journalist, this day gave me strength again. It made me think that perhaps, in places where the fascists have already won, the sense of community and mutual support is sharper — and that subversion goes far beyond posture and aesthetics.
I’ve been in Italy for almost a month now.
I took a break away from Marseille, from my work as a journalist, and from the activist communities I’m involved in, to finally listen to a slow-burning activist burnout that had been building up for months. I barely left the apartment, except for a weekend in Milan, where one of my sisters lives. By lucky coincidence, it was that same week that I met some members of Coriandoli online — a publication of rare quality, combining graphic excellence, dense philosophical texts, and a radical gaze on fashion and art. I immediately felt a warmth in our exchanges. We decided to meet in Milan.
There, I met, among others, founder Alessandro Merlo, editor Nettuno Battisti, and art director Giovanni Rocky Pastore. One morning, while having breakfast together in a Sicilian café, they invited me to join them at the very first Italian Trans Pride, which — by chance or synchronicity — was happening that same afternoon, on May 4. A historic date. As Alessandro told me, nothing ever really happens by accident — not even our meeting.
So, despite the difficulties I have attending protests, I joined them, accompanied by my sister. The day was grey and windy. We arrived at Piazza Duca d’Aosta, facing the Central Station — a textbook example of fascist architecture. Blue, pink and white flags waved in the wind. I sat down on the ground: the moment was cathartic. The energy in the crowd was incredible, defying the suspicious stares of police patrols and soldiers who, from time to time, pointed at us.
“Today we’re taking the streets to break the bourgeois monotony of this city!” someone shouted through a megaphone. The march headed toward Loreto — the square where, after his death, Mussolini’s body was hung. That place still chills me to this day. And yet, now, it was filled with our flags.
Behind the banner “Against all trans repression, it’s revolution”, a few thousand people marched. More than 120 collectives, informal groups and individuals had responded to the call, including SO Futura, B.Rain, B Plus and the Brigate Rosa.
“May 4 is an important date for us, because it’s the day, in 1982, when Law 164 was passed — still the only law regulating gender affirmation paths in Italy. That law belongs to its time: forty-three years have passed. It’s time to invent new alternatives, to finally listen to our community on these issues. Above all, we must stop creating spaces for discussion without us, where people talk about us without us, and where the paths offered are not the ones we desire,” said Alec, one of the organizers, in an interview with Il Sole 24 Ore.
I cried a lot, because I never thought I’d live to see such a march happen in Giorgia Meloni’s Italy. The experience shook me. It made me want to join those organizing back home, to weave more connections, to think beyond the framework of France.
The immense network of people, artists and activists surrounding Coriandoli naturally echoed my experience with Manifesto XXI. It reminded me of just how much power media — not isolated influencers — can have in creating cohesion, spreading ideas, and forming political friendships. And how, within collectives, openness to the world can lead to small everyday revolutions.
I’ll leave you with the stunning photos by Alessandro Merlo, and warmly invite you to discover Coriandoli.
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Costanza Spina è unə giornalista e autorə, natə a Catania nel 1992 e che abita a Marsiglia. Dieci anni fa, ha cofondato Manifesto XXI, un media indipendente queer e femminista che offre uno spazio d’espressione allə artistə e giornalistə emergentə. Nel giugno del 2023 ha pubblicato il suo primo saggio presso le Éditions Troubles, Manifeste pour une démocratie déviante – Amours queers face au fascime.
Fotografie di Alessandro Merlo